La Cour supérieure de justice de l’Ontario a récemment accordé des dommages-intérêts s’établissant à 1,2 milliard de dollars à Cineplex après que Cineworld a répudié une entente visant l’achat de l’exploitant de salles de cinéma. La Cour a rejeté les arguments de Cineworld selon lesquels la réponse de Cineplex à la pandémie avait enfreint l’engagement qu’elle avait pris, pour la période intermédiaire, d’exercer ses activités dans le cours normal et a conclu que Cineworld avait assumé le risque de réaliser l’opération si une pandémie survenait.

Il est important de noter que Cineworld ne pouvait invoquer le droit de résiliation lié à un effet défavorable important (EDI), car la définition d’EDI excluait spécifiquement les « épidémies » (qui, selon la Cour, incluaient la pandémie de COVID-19 qui a été déclarée par les autorités sanitaires mondiales et nationales quelques mois après la conclusion de l’entente), et l’entente ne prévoyait pas d’indemnité de rupture inversée donnant le droit à Cineworld de se retirer de l’opération dans certaines circonstances moyennant le paiement d’une indemnité de résiliation négociée. La décision met en lumière ce que constitue le « cours normal » au cours d’une pandémie et la manière dont le risque est réparti entre le moment de la signature et celui de la clôture et rappelle à point nommé l’importance des définitions et des clauses de changement défavorable important (CDI) et d’EDI dans un contexte de fusion et acquisition.

 

Résumé

Cineworld s’était engagée par contrat à acheter toutes les actions de Cineplex aux termes d’une convention d’arrangement signée le 15 décembre 2019, avant que la COVID-19 soit reconnue comme une pandémie mondiale (opération d’une valeur totale de 2,8 milliards de dollars). La clôture devait avoir lieu au plus tard le 30 juin 2020. L’entente ne prévoyait pas d’indemnité de rupture inversée qui aurait pu permettre à Cineworld de se retirer de l’opération dans certaines circonstances, moyennant le paiement d’une indemnité de résiliation négociée (quoique lorsqu’une indemnité de rupture inversée est incluse dans une entente de fusion et acquisition de sociétés ouvertes, elle ne permet pas simplement à l’acheteur de se retirer de l’opération pour n’importe quelle raison ou « par souci de commodité » moyennant le paiement d’une indemnité négociée), et la définition d’EDI excluait les « épidémies ».

La pandémie a été déclarée en mars 2020, Cineworld a résilié l’entente le 12 juin et Cineplex a déposé une réclamation pour rupture de contrat le 3 juillet.

Cineworld a soutenu que Cineplex avait enfreint divers engagements intérimaires applicables entre le moment de la signature et celui de la clôture, notamment en omettant d’exercer ses activités dans le cours normal (l’engagement lié à l’exploitation). Cineplex a fait valoir que l’exclusion liée à l’EDI attribuait à Cineworld le risque d’une pandémie et, dans tous les cas, que la réponse de Cineplex à la pandémie n’avait pas enfreint l’engagement lié à l’exploitation.

Clause d’EDI

La convention d’arrangement contenait une condition usuelle de clôture selon laquelle aucun effet défavorable important ne devait s’être produit depuis la signature, mais la définition d’EDI excluait les « épidémies » (c.-à-d. la pandémie de COVID-19).

Cineworld a fait valoir que les mesures prises par Cineplex à partir de mars 2020 n’étaient pas liées à la pandémie et constituaient une tentative de Cineplex de se conformer à une condition liée à la dette. Le juge Conway a rejeté cet argument : les mesures prises par Cineplex doivent être replacées dans leur contexte. Sa tentative de gérer les flux de trésorerie était une réponse à l’incertitude économique croissante attribuable à la COVID-19.

Les clauses d’EDI visent à traiter deux catégories de risques pendant la période intermédiaire : les risques commerciaux assumés par le vendeur, d’une part, et les risques systémiques, indépendants de la volonté des deux parties, qui sont assumés par l’acheteur, d’autre part. En excluant les « épidémies » de la définition d’EDI, la convention attribuait le risque systémique de pandémie à Cineworld.

Engagement lié à l’exploitation

L’engagement lié à l’exploitation exigeait de Cineplex qu’elle mène ses activités dans le « cours normal » pendant la période intermédiaire et qu’elle déploie des efforts raisonnables sur le plan commercial pour préserver ses relations et sa valeur d’acquisition. La clause interdisait à Cineplex de vendre des actifs, de contracter de nouvelles dettes et d’apporter des modifications aux contrats et au budget annuel (entre autres).

Cineworld a allégué que Cineplex avait manqué à ses engagements en prenant diverses mesures à partir de mars 2020, notamment en fermant des salles de cinéma, en reportant des paiements aux fournisseurs, aux studios de cinéma, aux locateurs, et en réduisant les dépenses en immobilisations.

Le juge Conway a fait les remarques suivantes :

  • Les engagements pour la période intermédiaire (y compris l’engagement lié à l’exploitation) visent : 1) à s’assurer que l’entreprise que l’acheteur a achetée reste la même à la clôture que ce qu’elle était à la signature; et 2) à réduire le risque, durant la période intermédiaire, qu’un vendeur agisse au détriment de l’acheteur.
  • Ce qui constitue le « cours normal des affaires » est une question mixte de fait et de droit. Le terme est flexible et devrait être interprété dans le contexte de la pandémie. Des changements temporaires en matière d’exploitation, conformes aux mesures prises lors de contractions économiques passées, ne libéreront pas un acheteur de son obligation de conclure une opération.
  • Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, des exemples tirés de la jurisprudence de ce qui constitue une conduite conforme à des engagements liés au cours normal comprennent des diminutions de 10 % des dépenses en immobilisations, des réductions mineures de la main-d’œuvre et un resserrement des exigences de crédit auprès des clients. En revanche, des mesures excessives qui modifient considérablement la nature d’une entreprise peuvent violer de tels engagements – par exemple, la fermeture prématurée de locaux et des licenciements importants qui créeraient des pénuries de personnel lors de la réouverture.

Cineplex avait pris des mesures raisonnables sur le plan commercial dans le contexte de la pandémie : plutôt que de vendre des actifs ou de procéder à une restructuration, elle a reporté des paiements et réduit des dépenses pour préserver les flux de trésorerie. Elle a également négocié des plans de paiement avec les locateurs, les studios de cinéma et les fournisseurs. Il s’agissait de mesures temporaires de gestion de la trésorerie qui ont permis à Cineplex de préserver l’entreprise et ses relations.

Le juge Conway a rejeté l’interprétation de Cineworld selon laquelle l’engagement lié à l’exploitation obligeait Cineplex à exercer ses activités exactement comme elle l’avait fait avant la pandémie : si Cineplex avait procédé ainsi, elle n’aurait disposé d’aucune liquidité.

En outre, la Cour a conclu que l’interprétation étroite de Cineworld à l’égard de l’engagement lié à l’exploitation ignorait le contexte de l’entente dans son ensemble, réattribuait le risque systémique d’une pandémie à Cineplex et rendait la clause d’EDI dénuée de sens.

Obligation d’exécution honnête

Le juge Conway a rejeté un autre argument de Cineworld selon lequel Cineplex avait manqué à son obligation d’exécution honnête en omettant de fournir des renseignements suffisants pendant la période intermédiaire. Cineplex avait informé Cineworld de ses plans de paiement différé et, bien que l’entente autorisait Cineworld à demander des données d’exploitation supplémentaires, cela ne comprenait pas des demandes de renseignements fastidieuses (comme une analyse facture par facture de tous les comptes fournisseurs de Cineplex).

Dommages-intérêts

La Cour a accordé à Cineplex des dommages-intérêts de plus de 1,2 milliard de dollars pour la perte du profit espéré, ainsi que 5,5 millions de dollars en frais d’opération.

Les dommages-intérêts étaient fondés sur la perte des synergies que Cineplex aurait réalisées si l’opération avait été réalisée. La Cour a rejeté la demande de Cineplex de recouvrer la valeur de la contrepartie qui aurait été payable aux actionnaires; les actionnaires étaient de tiers bénéficiaires et n’avaient pas le droit manifeste de poursuivre Cineworld aux termes de l’entente.

À retenir

La décision est une confirmation bienvenue de la souplesse permise dans l’interprétation des engagements liés à l’exploitation des activités dans le cours normal dans un contexte de pandémie. Elle fournit des lignes directrices utiles aux parties à des opérations de fusion et acquisition perturbées par la COVID-19.

Elle souligne également l’importance pour les parties de porter une attention particulière à la formulation spécifique des définitions et des exclusions de CDI et d’EDI. La décision montre en outre l’importance de communiquer régulièrement avec le vendeur pendant la période intermédiaire, de soulever les préoccupations le plus tôt possible et de collaborer avec le vendeur pour négocier des solutions raisonnables. De plus, les vendeurs devraient faire preuve de prudence avant de prendre des mesures excessives ou sans précédent pendant la période intermédiaire, et se demander dans quelle mesure les décisions en matière d’exploitation sont cohérentes avec les mesures antérieures prises pour gérer l’entreprise pendant des périodes difficiles, même si dans l’affaire en cause, la Cour a conclu que les mesures prises par Cineplex pendant la période intermédiaire étaient raisonnables et, par conséquent, ne sortaient pas du cours normal des affaires malgré la pandémie.



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